Le mythe de l’armailli seul maître sur son alpage ne tient plus
Avoir tout pouvoir de décision à l’intérieur de nos frontières séduit les adeptes de la démocratie directe que nous sommes. C’est ce que demande l’initiative dite « pour l’autodétermination » sur laquelle nous allons voter le 25 novembre prochain. Mais il est tout aussi important de se donner la capacité d’agir de façon réaliste et responsable.
Avec les progrès technologiques fulgurants de ces dernières années, nous sommes aujourd’hui tous liés par des faisceaux de droits et d’obligations réciproques. Notre prospérité et l’équilibre du système dans lequel nous vivons en dépendent. Il est révolu le temps où un armailli sur son pâturage pouvait se sentir libre et seul maître à bord avec son troupeau. Il nous en reste une nostalgie légitime, mais qui relève davantage du romantisme que de la réalité contemporaine.
Nous roulons dans des voitures, des trains, des bus fabriqués ailleurs. Nous vivons du fruit de nos exportations de haute technologie. Nous communiquons via des réseaux sociaux basés en Californie. Nos photos sont stockées sur des serveurs en Norvège ou au Canada. Nous achetons des T-shirts fabriqués en Chine ou au Maroc. Nous écoutons de la musique brésilienne, nous regardons des youtuber américains et les chaînes françaises. Nous voyageons de plus en plus loin pour de moins en moins cher. Tous ces échanges de mots, de sons, d’images, d’expériences, de marchandises sont régis par des milliers de règles dont nous n’avons même pas idée et qui font que notre société est ce qu’elle est.
Toutes ces règles contribuent à notre prospérité dont nous sommes bien contents de pouvoir bénéficier. Certaines règles ont un caractère politique. La plupart sont simplement techniques. Elles garantissent la qualité et de sécurité, comme les règles du transport aérien, les normes ISO, elles simplifient les démarches administratives, comme l’homologation unique des marchandises pour l’Union européenne. En amenant de l’ordre et de l’efficacité, elles apportent plus de bénéfices que de contraintes.
Pensons à bien inclure tous les bénéfices, ce que les Britanniques ont oublié de faire lorsqu’ils ont soutenu le Brexit. Nos relations bilatérales avec l’Union européenne sont le fruit d’un travail d’horloger qui a consisté à tisser minutieusement depuis vingt ans les fils d’un équilibre complexe qui a permis aux deux parties en présence d’en tirer avantage. Ce serait bien dommage, sous prétexte de préserver la pureté d’un concept, de jeter le bébé avec l’eau du bain.
Dans un monde interconnecté, notre prospérité vient du partage avec les autres. Se replier sur son pâturage est d’une autre époque. Il nous faut aller avec l’histoire et rejeter cette initiative qui nous coupera de l’évolution planétaire.
Claude Béglé, Conseiller national
Paru dans 24 Heures, le 5 Novembre 2018